mais on est heureux de les avoir connus. Les prudents ont durГ©, les passionnГ©s ont vГ©cu, remarquait un moraliste du XVIIIe siГЁcle. Julien, Fabrice, Lucien, chacun dans son registre particulier, ont eu une vie brГЁve mais pleine, ardente, gГ©nГ©reuse et, au-delГ des diffГ©rences de situation, ils ont en commun de pouvoir se dire au moment du bilan qu'ils n'ont pas Г avoir honte d'eux-mГЄmes. Si on s'en tient aux normes de la rГ©ussite banale, ils ont connu l'Г©chec - Julien ne sera qu'un instant comte de la Vernaye, Fabrice ne deviendra pas un haut dignitaire de l'Eglise et Lucien ne succГ©dera pas Г son pГЁre, banquier puissant -, mais les compromissions de la sociГ©tГ© n'auront pas de prise sur eux. Ils resteront intacts, libres de toute ambition subalterne.
Dans les circonstances les plus tragiques, ils échappent au désespoir par leur curiosité de la vie, la violence de leur passion, leur amour du beau et cette aptitude au bonheur qui est une forme de l'énergie vitale mais qui a naturellement pour revers une égale vulnérabilité à la souffrance. Ainsi chez Stendhal même la souffrance est-elle tonique. Elle est un moment de la vie, mais non pas sa condamnation. Elle est souvent en amour la rançon inévitable du bonheur. p> André Gide remarquait qu'il ne suffit pas de bons sentiments pour faire de la bonne littérature. En quoi, s'il avait en vue la littérature édifiante, il avait parfaitement et totalement raison. Stendhal semble pourtant lui donner tort car ses héros sont habités par les bons sentiments.
A condition de s'entendre sur la signification du mot et de n'avoir pas peur de ceux par qui le scandale arrive, les critГЁres stendhaliens risquant en effet de choquer quelque peu les amateurs de vertus ordinaires. comme nous en prГ©vient ironiquement l'auteur, dans l'avertissement de La Chartreuse de Parme: "J'avouerai que j'ai la hardiesse de laisser aux personnages les aspГ©ritГ©s de leurs caractГЁres; mais en revanche, je le dГ©clare hautement, je dГ©verse le blГўme le plus moral sur beaucoup de leurs actions ... Cette histoire n'est rien moins que morale et maintenant que vous vous piquez de puretГ© Г©vangГ©lique en France, elle peut vous procurer le renom d'assassin. "
Souvenons-nous. Par amour d'une belle duchesse et de la RГ©publique, un poГЁte carbonaro tue le prince de Parme. Un plГ©bГ©ien rГ©voltГ© abandonne sa femme et blesse sa maГ®tresse Г coups de revolver. Un Premier ministre conspire contre son roi pour plaire Г celle qu'il aime. Un jeune prГЄtre simoniaque commet le pГ©chГ© de chair avec une marquise mal mariГ©e. Une patricienne romaine devient meurtriГЁre de son pГЁre qui a abusГ© d'elle. Sans faillir apparemment Г l'honneur, le fils d'un banquier exГ©cute les basses besognes d'un ministre de Louis-Philippe. Pour ne rien dire de la duchesse de La Chartreuse, u...
